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Judaïsmes et Questions de Société
1 décembre 2012

Les femmes peuvent-elle réciter le "kaddich" ?

Textes_du_kaddish (Fragment de la prière du "kaddich") 
A la mémoire de Nicole S (que son nom soit source de bénédiction et que son âme repose en paix au jardin d'Eden).

«Yitgadal veyitkadach… Que son grand Nom soit magnifié et sanctifié … », par ces mots commence le kaddich, l’une des prières les plus connues du judaïsme. Prière avant tout de louange et de sanctification du nom de Dieu, le kaddich rédigé en araméen, ponctue sous différentes formes et à plusieurs reprises, les offices quotidiens, ceux du chabbat et des jours de fêtes. Il existe quatre kaddich dont celui des orphelins qui, comme tout kaddich requiert un minyan (quorum de dix personnes). Habitude a été prise, probablement depuis le Moyen-Age, de réciter le kaddich des orphelins en la mémoire d’un défunt, au cours de l’enterrement, de la période de deuil qui suit et du jour anniversaire de son décès. Le kaddich, dit-on, participe à l’élévation de l’âme de la personne disparue, mais en le récitant l’endeuillé(e) exprime aussi sa piété familiale et sa filiation spirituelle.

Est-ce qu’une femme peut dire le kaddich ? Dans trois des quatre courants qui composent le judaïsme actuel (massorti ou conservative, libéral ou réformé et reconstructioniste), se déroulent généralement des offices égalitaires où les femmes sont comptées avec les hommes pour le minyan. Elles peuvent donc dire le kaddich pour leurs parents, leur conjoint ou tout être qui est leur est cher[1].

Mais qu’en est-il des femmes dans le milieu juif orthodoxe, courant qui prédomine en France notamment au sein des synagogues consistoriales ? Peuvent-elles dire le kaddich, par exemple, si leurs parents n’ont pas eu de fils ou si elles souhaitent s’associer à leur(s) frère(s) afin de réciter cet « hymne » de reconnaissance de Dieu ?! Le bénir et appeler à Son règne à un moment si crucial est une façon indéfectible de dire le message monothéiste, et d’exprimer encore et toujours, en tant que membre du peuple juif, l’espérance que ce message charrie nonobstant la difficulté des épreuves traversées !

Trois attitudes prédominent actuellement dans le monde juif orthodoxe : l’interdiction, l’autorisation de dire le kaddich pour les femmes dans certaines circonstances et la possibilité pour elles de le dire en toutes circonstances.

Le responsum du rabbin Haïm Bakhrakh (17ème siècle) est le plus cité pour interdire aux femmes la récitation du kaddich. Mais alors que celui-ci reconnaît que la femme a la même obligation que l’homme de sanctifier le nom de Dieu (Levitique 22 ;32) et qu’une fille peut aussi, en disant le kaddich, apaiser l’âme du défunt et que de surcroît, il n’y a pas à craindre qu’en le disant, elle soit comptée dans le minyan… ce rabbin préfère paradoxalement interdire cette possibilité de crainte de bousculer la coutume existante ou d’introduire une nouvelle pratique. D’autres s’alarment du fait qu’il soit indécent d’écouter la voix d’une femme ou que l’honneur de la communauté serait mis à mal si cette dernière disait le kaddich ! Aussi conseille-t-on aux femmes, du sein de l’espace qui leur est réservé dans la synagogue, au balcon ou derrière une barrière de séparation (meh’itsa), d’être attentive à la lecture du kaddish et de répondre « amen ». Leur attitude est passive, mais leur ferveur (kavana) et surtout  la conviction de leur « amen » leur sont comptées comme un mérite voire comme si elles avaient elles-mêmes dit le kaddich. La tradition juive souligne plus d’une fois l’importance du « amen » et de cette autre phrase clef du kaddich : Yehé chema rabah mevarakh leolam oulealmé almayah/ Que son grand nom soit béni pour l’éternité et pour l’éternité de l’éternité »[2].

D’autres rabbins autorisent les femmes à se joindre à la récitation d’un kaddich, en présence d’un minyan, chez elles, en particulier au courant de la semaine de deuil, ou à la synagogue mais dans la stricte séparation des sexes. Il arrive d’ailleurs que des femmes en prennent l’initiative sans demander l’autorisation au préalable. C’est ce que fit, par exemple, l’épouse du rabbin Menachem Mendel Auerbach, membre du Tribunal Rabbinique (beth din) orthodoxe de Boston qui, à la mort de son époux en 1952, récita le kaddich chez elle et à la synagogue[3]. Qui pourrait empêcher ces femmes d’accomplir leur devoir filial ou familial en récitant le kaddich - si elles souhaitent l’exprimer de la sorte, puisque rien ne l’interdit strictement d’un point de vue halakhique (loi juive) - si tant est qu’elles ont la force d’affronter la norme sociétale ou de faire entendre au rabbin le bien fondé de leur démarche ?! L’exemple le plus connu est celui d’Henrietta Soltz, fondatrice d’Hadassah, le renommé réseau caritatif et hospitalier. En 1916, elle déclina avec respect la proposition d’un ami, Haïm Peretz, de dire le kaddish à sa place en la mémoire de sa mère : « Le kaddich signifie pour moi que le survivant manifeste publiquement et explicitement son souhait et son intention de continuer la relation que son parent entretenait avec la communauté juive, et que la chaîne de la tradition reste intacte de génération en génération, chacun ajoutant son propre lien. Vous pouvez le faire pour les générations de votre famille. Je dois le faire pour les générations de ma famille »[4].

D’autres rabbins, enfin, comme Joseph Eliyahou Henkin (1880-1973) et son petit fils Yehouda ou le rabbin et leader Joseph Baer Soloveitchik (1903-1993), autorisent pleinement les femmes à dire le kaddich, à la synagogue, toujours dans l’espace qui leur est réservé. Elles le récitent, bien évidemment, en présence du minyan, « qu’il y ait ou non un homme qui disent le kaddich avec elle »[5]. Ce dernier point est important, car s’il n’y a pas d’homme endeuillé, le kaddich des orphelins est dit uniquement par la femme, et le minyan et la communauté (kahal) répondent alors « amen ».

L’écrivain Léon Wieseltier, dans son très beau livre sur le kaddich relate l’émotion extraordinaire d’une de ses amies lorsqu’elle apprit que, contrairement à ce qu’elle avait pensé et vécu comme une souffrance, les femmes pouvaient dire le kaddich[6]. Cette émotion est à l’évidence partagée par plus d’une comme en témoigne le nombre croissant de femmes déterminées à faire entendre leur voix y compris et surtout à ce moment si particulier de leurs vies.

 Sonia Sarah Lipsyc

Cet article a été publié sour le titre "Les Femmes et la lecture du Kaddich" dans l’Arche, Novembre 2007, n°594 p 30-31


[1]Voir Wittenberg (Jonathan), Epître de la vie (traduction Rivon Krygier), édition In Press, Paris, 2002, p 83-106.

[2] Sur la force du « amen » et de la phrase citée voir traités Sotah 49a et Shabbat 119b du Talmud de Babylone.

[3] Millen (Rochelle L) « The female voice of Kaddich »  dans Jewish Legal Writting by Women sous la direction de  Micah D. Halpern et Chana Safrai, Urim Publications, Jerusalem, 1998, p 179.

[4] Bebe (Pauline), Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Calmann Lévy, Paris, 2001 page 178.

[5]Gaims-Speigel (Barbara), « Women and Kaddish »,dans The Orthodox Jewish Woman and Ritual, Jofa, New York, 2000, p 10

[6] Wieseltier (Léon), Kaddich, Calmann Lévy, Paris, 2000 maintenant disponible en Livre de Poche, p 188-202

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