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Judaïsmes et Questions de Société
26 avril 2012

La responsabilité collective et mutuelle (« arevout ») au sein du peuple juif et à l’égard de l’autre ou des nations

soukkot_09985(4 espèces végétales qui symbolisent au cours de la fête de Souccot, l'union du peuple juif. Voir PS ci dessous)

La notion de responsabilité collective ou mutuelle (« arevout »)[1] est l’une des notions essentielles du judaïsme. « Tout un chacun au sein du peuple d’Israël  (à entendre au sein du peuple juif) est garant l’un de l’autre » rappelle le Talmud[2].

Il ne s’agit pas seulement d’énoncer que la destinée de chaque Juif est rivé à sa dimension collective comme de nombreux exemples depuis l’Antiquité et l’histoire encore récente de la Shoah, le montrent dans un versant tragique. La théodicée[3] juive exprime d’ailleurs que le juste comme le méchant subit le même sort lorsqu’un malheur s’abat sur le peuple juif.

Mais la pensée juive insiste également sur l’inclinaison éthique que suppose cette inter- dépendance.

On pourrait le dire ainsi : « si mon sort dépend d’autrui, je suis aussi responsable de lui ». « Aussi » dans le sens où l’exprimerait le philosophe Emmanuel Lévinas (1906-1995) c'est-à-dire d’emblée, simplement du fait même de son existence et de notre existence commune sur terre. Mais « aussi » car nos destinées sont liées.

Cet impératif de la responsabilité collective exige, en même temps qu’il le développe, un sentiment d’acceptation à l’endroit du Juif comme individu ainsi qu’un sentiment d’amour à l’égard de la communauté juive dans son ensemble (« ahavat Israël »).

Cet engagement s’accompagne dans la tradition juive de nombreux commandements d’ordre social qui inscrivent une solidarité : créations d’orphelinat, soins aux personnes âgées, visites aux  malades, dons aux pauvres, respect d’autrui, etc. « Dispositions qui unissent un être humain à son prochain » et qui sont connus dans la tradition juive sous cette appellation (« mitsvot ben adam le havero »).

Il requiert également une conscience collective communautaire ou citoyenne notamment en Israël qui transcenderait les singularités pourtant valorisées dans la pensée talmudique[4].

Ce sentiment de solidarité renforce sans conteste l’unité du peuple juif (« ah’dout Israël »).

A l’inverse, lorsque cette conscience collective et inclusive n’existe pas et qu’elle est remplacée par la défense exclusive de sa personne ou des intérêts du sous groupe auquel on appartient, l’incompréhension, le rejet voire la haine s’installent et entraînent à terme la destruction partielle du peuple juif.

C’est ce que dit le Talmud lorsqu’il affirme que la  haine gratuite (« sinat h’inam ») a été à l’origine de la destruction du Second Temple de Jérusalem et peu après de la perte d’une souveraineté nationale et de la dispersion des Juifs aux premiers siècles de l’Antiquité[5].

Le nom de Dieu était alors profané (« h’illoul ashem »), en particulier par ceux là mêmes qui, dévots, prétendaient le préserver!

Mais est-il juste que l’attitude de certains, à supposer même qu’elle soit majoritaire, ait de l’influence sur tous ? Le premier texte du Talmud que nous avons cité posait déjà la question en réfutant que les enfants meurt pour les pères ou les pères pour les enfants… Alors que l’on ne doit payer que « pour son propre méfait » (Deutéronome 24;16) ? Cependant avance le Talmud, un autre verset stipule «  Et ils trébucheront, chacun pour son frère » (Lévitique 26;37). Ce qui nous enseigne qu’on est tous responsables (ou garants) les uns des autres - il s’agit de cas où on aurait pu s’opposer (au mal) et on ne l’a pas fait ».

C’est là l’essentiel, car nous sommes dans la vie de tous les jours témoins de dissonances et contemporains de petites ou grandes injustices que l’on pourrait dénoncer ou empêcher.

Mais tout se passe comme si l’exercice interne de cette responsabilité faisait résonner l’être juif dans l’universalité.

Car, empressons-nous de préciser que cette notion de responsabilité (« arevout ») s’exerce également, sous une autre appellation, à l’égard de toute autre individu ou communauté. De nombreux commandements, en effet, dans la tradition juive, impliquent des notions de justice et de bonté à l’égard de tout un chacun de l’humanité[6]. Les communautés juives doivent s’efforcer d’entretenir des voies de paix (« darké chalom ») avec leur environnement, d’être pleinement citoyens des pays dans lesquels ils vivent et de prier pour le bien être des autres nations. Il est de tradition que chaque chabbat à la synagogue, les Juifs disent une prière pour la République, la Fédération ou le Royaume dans lequel ils évoluent.

Il me plait aussi de citer, par exemple, que la communauté juive de Montréal, au sein de laquelle je réside, a été celle qui s’est le plus mobilisée en Amérique du nord en collectant des centaines de milliers de dollars pour les victimes du tremblement de terre à Haiti[7]; que la cantine « Le Café »[8] ouverte au sein de la Fédération Juive, plusieurs fois par semaine, pour les nécessiteux l’est pour tout un chacun dans le besoin, quelle que soit sa religion ou nationalité, et que l’extraordinaire association caritative Mada Community Center qui délivre trois fois par jours des repas, donne des vêtements ou des meubles est ouverte à tout le monde dans la cité québécoise[9].

Ce sentiment d’être lié à son prochain, quel qu’il soit, et l’écoute ou l’action qu’ils supposent, met le Juif/ve au cœur d’une conscience et d’une vocation que met en valeur le concept kabbaliste de « tikoun olam » littéralement de réparation du monde. Dans la tradition juive, en effet, l’amélioration du monde, le petit comme le grand, celui de notre sphère proche et plus globale, dépend des actes et des applications de chacun(e). La solidarité s’exerce aussi à l’égard des nations dans un souci d’harmonie universelle de la part d’un peuple qui tout disséminé qu’il soit avec la référence centrale à l’Etat d’Israël, se vit comme « une dynastie de prêtres » au sein des nations[10].

 

Sonia Sarah Lipsyc

 

PS : Les 4 espèces végétales (« ‘arba minim ») sont le cédrat (« étrog »), une palme (« loulav »), trois rameaux de myrte (« hadassim ») et deux de saule (« ‘aravot »). Ils symbolisent l’harmonie du peuple juif car ils regroupent des fruits qui ont du goût (la connaissance) et une bonne odeur (l’action), ni l’un ou l’autre ou l’une de ses deux caractéristiques. Au cours de la fêtes de Souccot, ils sont liés les uns aux autres et les Juifs disent une bénédiction en les prenant dans la main au cours de la prière.



[1] Nous userons de l’une ou  l’autre traduction c'est-à-dire responsabilité collective ou mutuelle ou des deux.

[2] Traité Sanhedrin 27b du Talmud de Babylone.

[3] Partie de la métaphysique qui traite de la justice divine et tente d’expliquer le mal dans le monde malgré la bonté de Dieu.

[5] Voir traité Yoma 9b et Guittin 55b et 56a du Talmud de Babylone où ce qui est notamment dénoncé est précisément le fait que des rabbins témoins d’un affront public fait un homme n’ont pas protesté. Voir le bref exposé à ce sujet de Jacques Kohn, « La haine gratuite, cause de la destruction du deuxième Temple ».

 

[6] Les commandements de respect de l’étranger comptent parmi ceux qui sont le pus cités dans  la Torah. Voir, par exemple, Exode 22;2à ou Lévitique 25;17. Il est évident que le commandement « d’aimer son prochain comme soi même » (Lévitique 19;18) s’applique aussi à ce lui qui n’est pas Juif, avec comme le souligne la littérature rabbinique, un accent tout particulier à l’égard de l’autre, non Juif. Voir à ce sujet, Hervé Elie Bokobza, L’autre, l’image de l’étranger dans le judaïsme, édition L’œuvre universelle, Paris, 2009.

[7] Voir à ce sujet mon article, « Pourquoi les Juifs doivent-ils aider Haïti selon les sources de la tradition juive ? » dans LVS (La Voix Sépharade), Montréal, Mars 2010. _Cliquez ici pour le document PDF_2_

[10] Se cf. respectivement Exode 19;6 et Isaïe 42;6.

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