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Judaïsmes et Questions de Société
21 mars 2011

Existe-t-il une ségrégation sexuelle dans les autobus en Israël (2)?

  Existe-t-il une ségrégation sexuelle dans les autobus en Israël (2) ?

Dessinhommesfemmes_par_sdansbus Quelles ont été les réactions face à cet arrêt de la Cour Suprême concernant la séparation des sexes dans les bus publics en Israël ?

-          « L’avocate Einat Horowitz de l’IRAC a salué la décision des juges. « Nous saluons la décision du Tribunal Suprême, laquelle détermine pour la première fois que la ségrégation sexuelle est une discrimination illégale. Le verdict prend en charge ce qui est évident, à savoir que chaque femme est libre de choisir son siège dans les autobus publics (…) »[1].

-          Rachel Azaria, du Conseil municipal de Jérusalem, a également été ravie de la décision donnée par la Cour : « Après une bataille qui a eu lieu quelques années auparavant, la Haute Cour de Justice a accepté notre position, qui consiste à dire que la ségrégation sexuelle est illégale en Israël. En tant que femme religieuse, je suis heureuse que le Tribunal ait confirmé les valeurs promues dans la Déclaration d’Indépendance.[2] ». [3]

 NaomieRagen

-          Naomie Ragen, écrivaine orthodoxe, l’une des cinq femmes qui avaient déposé la plainte devant la Cour Suprême, «  tout en se félicitant que la séparation forcée entre les sexes ait été interdite, se dit déçue que le Tribunal ait favorisé la ségrégation volontaire »[4]. Elle souligne le caractère contradictoire de ce jugement et déclare « si la violence se poursuit, nous retournerons devant le Tribunal pour demander que ces bus soient rendus illégaux »[5].

-          Cet avis n’est pas partagé par d’autres femmes venant du monde orthodoxe comme Mme Grossman, femme de rabbin et membre du World Women’s Lobby for Halachic Transportation (le lobby des femmes dans le monde pour des transports conformes à la loi juive) qui « s’est, elle, félicitée de la recommandation du Ministère des Transports permettant la séparation volontaire (…). Elle a applaudi à la décision de la Cour, la considérant comme une victoire « pour des centaines de femmes qui souhaitent maintenir ce mode de vie (…) »[6].

-          Le mouvement  massorti »  ou conservative, l’un des courants du judaïsme[7], a « critiqué la décision de la Cour d’approuver la ségrégation sexuelle dans les bus ultra-orthodoxes en renvoyant au consentement volontaire (des passagers) déclarant que le tribunal avait déterminé quelques principes importants dans sa décision, mais que la lutte n'était malheureusement pas finie »[8]. Yizhar Hess, directeur exécutif de ce mouvement, a ajouté que l’on devait mettre un terme « à cette demande de respect de l’exclusion des femmes de la sphère publique au nom d’un style de vie religieux qui choisit de rendre les femmes invisibles aux hommes, afin qu’elles ne suscitent pas chez eux de coupables pensées »[9].

-          Au sujet de cette porte arrière que les femmes seraient toujours obligées d’emprunter, Ariane Melamed, journaliste se présentant comme une observatrice laïque, rappelle que les femmes « continueront d’entrer par la porte arrière sachant fort bien que de telles portes - ailleurs et à d’autres époques de l’histoire - ont été utilisées par toutes les personnes victimes d’ostracisme, empêchées d’être traitées de manière égale en public : esclaves et serviteurs, résidents à la peau noire, Juifs au début de la période nazi au cours de laquelle ils n’étaient autorisés qu’à passer par certaines portes »[10].

-          Et Anat Hoffman, directrice exécutive de l’IRAC et présidente du groupe pluraliste « Women of the Wall » (« Les femmes du Mur » qui se bat, elle aussi, contre certaines discriminations dont sont victimes les femmes qui souhaitent prier au Mur des lamentations[11],  souligne : « le Tribunal a laissé une porte ouverte. C’est la porte  arrière et les femmes victimes d’intimidation depuis des années afin qu’elles s’asseyent derrière, ont été formées pour rester là. Je veux que cette porte soit fermée ».[12] Enfin, le Député Nitzan Horowitz du parti de gauche Meretz s’est exclamé : « Israël n’est pas et ne doit pas être l’Iran »[13].

Femmesentrantparlarriere

 L’ambiguïté de cette décision de la Cour Suprême

 On le voit, si la Cour Suprême a déclaré illégale cette ségrégation des sexes sur des lignes de bus publics, elle autorise en même temps cette séparation pour celles et ceux qui le souhaitent à condition qu’elle soit volontaire… C’est pourquoi, à ce stade, cette décision a été approuvée autant par ceux qui dénoncent cette ségrégation que par ceux qui la souhaitent.

Mais dans les faits que se passe-t-il ?

La Cour avait également ordonné à la compagnie Egged de mettre une annonce dans trois journaux quotidiens dont l’un lu par le monde ultra-orthodoxe (haredi [14] qui fréquente souvent ces lignes de bus. Cette annonce devait informer le public de la décision de la Cour et en particulier, que toute personne en  harcelant une autre, au sujet de son choix de siège dans un bus, encourait une infraction pénale.

Trois journaux orthodoxes, Hamodia, Hamevaser et Yated Neeman, ont refusé d’insérer cet encart. « Egged a alors décidé avec l’approbation du Ministère des Transports de publier l’annonce dans la publication nationale religieuse Makor Rishon et en a informé le Tribunal afin que son action ne soit pas considérée comme une violation de l’ordre de la Cour »[15].

Mais, à juste titre, l’IRAC, a protesté car Makor Rishon n’est pas lu par le monde ultra-orthodoxe. L’IRAC relève que « Egged ne fait pas assez pour s’assurer que les annonces soient publiées dans les journaux ultra-orthodoxes (haredi) et ce d’autant plus, que ces derniers comme Hamodia, présentent la décision de la Cour « comme une victoire entérinant la disposition (actuelle) »[16].

Aussi l’IRAC a-t-il « envoyé des lettres, aux trois journaux (mentionnés ci-dessus), à Egged, au Ministère des Transports ainsi qu’à la Cour Suprême, les informant que l’échec de publier les annonces serait considéré comme une violation des décisions de justice et constituerait un outrage»[17]. Et donc que des recours juridiques seraient de nouveau envisagés.

On est également en droit de s’interroger sur la crédibilité d’un consentement volontaire dans des situations comme celles-ci, où la pression sociale est extrêmement importante, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur des bus. La cinéaste israélienne, Anat Zuria, en 2010, dans son remarquable documentaire Black Buses , filme, par exemple, un homme religieux qui, s’opposant à cette ségrégation, est aussitôt invectivé par les passagers du bus. Et combien de couples aussi se taisent et acceptent cette situation de crainte de se faire remarquer ou d’être rejetés alors qu’ils aimeraient s’asseoir côte à côte sans avoir à se séparer ?!

Cette pression sociale se manifeste bien évidemment aussi à l’extérieur des moyens de transport.

L’IRAC, comme le forum orthodoxe féministe de Kolech qui a créé une ligne ouverte Heshmi’ini  (Laisse-moi entendre ta voix), font part des appels, les plus souvent anonymes, de femmes orthodoxes. Ces dernières expriment autant leur difficulté voire leur impossibilité à oser exprimer leur désaccord au sein de leur milieu que leur reconnaissance à l’égard des actions de l’IRAC. Situation paradoxale lorsque l’on se rappelle que l’IRAC est l’organe juridique du Mouvement Libéral le plus souvent honni et délégitimé dans les milieux orthodoxes.

Mais comme le relève Rachel Canar, membre de l’IRAC et qui rapporte ces réactions : « La route qui a conduit à la victoire juridique de l’IRAC pour le pluralisme est en soi une manifestation du pluralisme. Les relations qui s’épanouissent au travers de cette lutte (…) joueront certainement encore un rôle dans le futur, dans des combats contre d’autres formes de coercition religieuse »[18].



[1] Ibid.

[2] Elle stipule notamment  que « L’Etat d’Israël assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe »). Voir la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël prononcée le 14 mai 1948.

[3] Shahar Haselkorn, « Court : Segregation only upon consent », op cité.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7]Le judaïsme est composé de quatre courants : orthodoxe, massorti » ou « conservative », reconstructioniste et libéral ou réformé.

[8] Jonah Mandel, « Masorti Movement: Struggle over mehadrin bus lines not over », Jerusalem Post, 06/01/2011.

[9] Ibid.

[10] Ariana Melamed, « Seeking haredi Rosa Parks », Ynetnews, 07/01/2011.

[11] Anat Hoffman a été notamment arrêtée le 12 juillet dernier  pour avoir portér un « Sefer Torah » (rouleau de la Torah) du côté des femmes, au Mur des Lamentations. Voir http://womenofthewall.org.il/archives/date/2010/07.

[13] Dan Izenberg et Jonah Mandel, « Court scraps « mehadrin » bus ? » op cité.

[14] Le monde orthodoxe est lui-même traversé par plusieurs tendances : du milieu ultra-orthodoxe (haredi) qu’il soit de sensibilité hassidique ou mitnagdi (aussi appelés rationalistes ou courant Lithuanien) - en passant par les orthodoxes, les orthodoxes modernes et en finissant par les traditionnalistes

[15] Ron Friedman, « Egged faces contempt charges over haredi newspapers ads », Jerusalem Post, 10/02/2011.

[16] Ibid.

[17] ibid.

[18] Rachel Canar, « An Unusual Alliance : Reform Movement Saves a Seat for Orthodox Women on Israeli Buses», Jewish Philanthropy,  le 04/02/2010.

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